Il y a toujours cette crainte que l’on ressent avant de parler de quelque chose qui nous est arrivé. « Et si j’étais la seule ? ». « Et si j’exagérais ? ». « Et si ce n’était pas si grave que ça ? ». Ces quelques années plongée dans le féminisme m’ont appris quelque chose. On n’est jamais la seule. Nos expériences individuelles sont collectives. Nous sommes toutes reliées. Nous n’avons peut-être pas toutes vécu les mêmes histoires, mais toutes ces histoires ont été vécues par beaucoup d’entre nous.
Vers 13 ans, le corps des jeunes filles change. Le mien n’avait pas encore changé, celui de mes copines oui. Mais pour elles comme pour moi, à 13 ans, nos corps ont cessé de nous appartenir. Mon corps est devenu un objet public qui pouvait être touché, commenté, jugé, sans mon consentement. Comme si je n’étais plus là, comme si je n’étais plus qu’un morceau de chair et d’os sans âme et sans sentiment, comme s’il n’y avait plus une personne à l’intérieur. Un corps à la merci du regard des garçons. Des garçons de mon âge mais aussi des professeurs.
C’est en lisant les témoignages qui sont publiés depuis plusieurs jours sur ce compte Instagram que j’ai réalisé que rien n’a changé depuis 20 ans à l’école. C’est toujours exactement la même merde. Le système scolaire fait partie de cette machine à broyer les filles qu’est le patriarcat.
Je n’avais jamais vraiment réfléchi aux raisons pour lesquelles mes 13 ans furent la pire année de ma vie. C’est en analysant le sujet ces derniers jours que j’ai commencé à comprendre. A 13 ans, les garçons ont gentiment mais sûrement mis en route leur entreprise de démolition de nos personnes. Moqueries, insultes, agressions sexuelles – mais à l’époque, nous ne savions pas que le fait de toucher les seins ou les fesses par surprise et sans consentement est considéré comme une agression sexuelle. Et avec eux, les profs. Notre prof de classe qui critiquait notre façon de nous habiller, de nous teindre les cheveux, de nous maquiller. D’autres profs qui commentaient nos physiques avec les garçons, et tout le monde riait. Et nous, que pouvions-nous faire ? On ne comprenait pas ce qu’il se passait. Quand j’essaie de me remettre dans l’état d’esprit que j’avais à 13 ans, je retombe dans l’incompréhension. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. C’est l’année où j’ai été la plus rebelle à l’école. Pire classe de l’histoire du collège, qu’ils ont dit. Foutaises. Ils ont répété la même chose deux ans plus tard à une autre classe. Nous devions bien évacuer ces injustices d’une manière ou d’une autre.
Cette année-là, on avait un prof dont on se prévenait toutes qu’il fallait s’en méfier. Les filles des années supérieures le savait, les filles des années inférieures le savaient aussi. Ces profs louches, nous les filles, on les connaît. C’est le genre de prof qui te mate quand tu vas au tableau, le genre à dire des choses déplacées, le genre à t’observer avec le regard lubrique. Le genre à organiser une épreuve bien particulière lors d’un camp de fin d’année. En juin 2000, nous étions en camp d’été à Thonon-les-Bains. Au cours de la semaine, une journée concours a été organisée. Par groupes, nous passions des épreuves les unes après les autres et à la fin, l’équipe qui avait le plus de victoires gagnait le titre. L’une des épreuves, chapeautée par le prof en question, et j’en tombe encore de ma chaise chaque fois que je raconte cette histoire, consistait à faire la plus longue chaîne de vêtements possible. Nous devions donc nous déshabiller et assembler les habits les uns à la suite des autres. Dans mon groupe, nous avions opté pour la technique suivante : mes amies se cachaient derrière une table et me lançaient leurs vêtements et sous-vêtements pendant que moi je restais habillée et les alignais devant le prof. Ce type qui avait la trentaine à l’époque, et je revois encore sa sale gueule de con quand j’écris ces lignes car c’est comme si c’était hier, nous regardait le sourire en coin, visiblement très amusé. Pendant le jeu, il a dit « Les filles, vous pouvez venir aider Melody à assembler les habits ! Dans le groupe d’avant, {et là il cite deux prénoms de filles d’une classe parallèle} se baladaient en culotte dans la pièce ! ».
On est à quel degré de comportement problématique là ? Et je ne peux pas raconter d’autres histoires qui se sont passées car elles ne me sont pas arrivées personnellement. Mais il y a eu d’autres épisodes. 20 ans plus tard, où est ce prof ? Toujours à la même place. Dans le même collège. Toujours au contact d’enfants.
Au cours de mes baby-sittings, j’ai eu l’occasion de garder un garçon de 13 ans. Je me suis retrouvée dans la situation inverse. J’étais l’adulte face à un enfant de l’âge que j’avais à l’époque. Et là, ça m’a sauté aux yeux. Je me suis dit Ce prof, ces profs, qui nous mataient comme des pervers, ils étaient sexuellement attirés par des jeunes filles de 13 ans. C’est comme si moi, à ce moment-là, je commençais à regarder ce garçon avec un intérêt sexuel. Ce fut une révélation. Tout ce que je voyais dans cet ado, c’était un enfant pré-pubère qui avait, certes, certains attributs d’un homme, mais qui restait tellement enfantin dans sa façon de parler, de penser et de se comporter. À aucun moment je n’aurais pu ressentir un quelconque attrait pour lui ! Jamais ! Mais ces profs, oui. Et ils passent la totalité de leur carrière professionnelle à fantasmer sur des jeunes filles tout juste sorties de l’enfance.
Les directions le savent. Les collègues le savent. Tout le monde le sait. Tout le monde le sait et personne ne fait rien. On ne va pas gâcher la carrière d’un prof pour ça, ce n’est quand même pas si grave. Il faut que ces hommes soient virés. On ne peut pas laisser des prédateurs sexuels pareils au contact d’enfants pendant 40 ans. Il faut que nous protégions nos filles de ces types. Il faut que nous apprenions aux garçons que les corps des filles ne sont pas des objets et qu’elles ne sont pas et ne seront jamais à leur disposition. Il faut que nous puissions garantir à toutes les jeunes filles un parcours scolaire où elles peuvent étudier sans avoir à subir le sexisme quotidien de la part des profs et des garçons de leur classe.
À quand des cours d’éducation au respect ? À quand des cours d’éducation au consentement ? À quand des cours pour déconstruire le sexisme de notre société ? Les enfants sont les adultes de demain. Et je crois qu’on devrait commencer par là si on veut faire changer tout ça.
Pam
Punaise! Tu ne m’avais jamais parlé de cela!! C’est de la folie d’imaginer ce “concours”! J’ai pas de mots, je suis outrée.
De mon côté, je n’ai pas vécu un tel épisode. Je me souviens des accompagnants de camp avec qui cela pouvait être ambivalent. Jusqu’où étaient ils profs et faisaient ils preuve d’autorité par rapport à nous, à partir de quel moment devenaient ils nos copains et aussi dès lors pouvaient ils nous draguer…?
Je me souviens également que c’était à nous, jeunes filles, de prêter attention à nos tenues en salle de sport: ne pas avoir un t-shirt trop moulant afin de ne pas se dévoiler MAIS ne pas avoir un t-shirt trop large qui pourrait remonter jusque sous nos bras en cas de roulade et dès lors tout dévoiler. Quelle prise de tête et ce, pour ma part, dès l’âge de 11 ans…
Melody
PamOui c’est incroyable n’est-ce pas ?! C’est un grand prédateur, il est dangereux ce type.
Oui je vois tout à fait ce dont tu parles ! C’est tellement jeune 11 ans pour arrêter d’être en insouciance avec son corps. Parce qu’il est sexualisé par les hommes autour, par la société.
Merci pour ton partage ma biche, gros bisous ♥
Aleksandra
Salut, je ne sais pas comment vous remercier pour cet article. Il m’a beaucoup aidé à comprendre ce qui se passait dans mon adolescence qui était loin d’être parfaite …
Melody
AleksandraBonjour Aleksandra,
Je vous remercie beaucoup pour vos quelques mots qui me touchent beaucoup. Je suis contente s’il a pu vous aider à mettre quelques mots sur ce que vous avez vécu. Sur ce qu’on a toutes vécu. Vous n’êtes pas seule. Et je crois qu’on pourrait/devrait écrire des romans sur les adolescences des jeunes filles. Des romans écrits par des femmes pour en parler. Parce que ça ne va pas ce qu’on a vécu et ce que les jeunes filles vivent encore aujourd’hui.
Plein de belles pensées pour vous ! ♥