Dans cet article, je donne la parole à mon amie Svetlana qui va nous parler de fiscalité. Nous allons découvrir comment fonctionne le calcul de l’impôt pour les couples mariés et comment il participe à promouvoir une organisation traditionnelle des rôles. Svetlana nous montrera notamment comment calculer le montant de l’impôt de chaque partenaire dans un couple marié afin que chacun.e paie une part en fonction de son propre salaire. Enfin, nous apprendrons plusieurs faits qui font dresser les cheveux sur la tête. Saviez-vous que lorsqu’on commande des vêtements à l’étranger, les droits de douane sont plus chers si ce sont des vêtements pour femme que pour homme ? Saviez-vous que la TVA appliquée aux protections périodiques n’est pas celle appliquée aux produits de première nécessité ?
Si le sujet vous intéresse, je vous conseille l’excellent podcast de Titiou Lecoq Rends l’argent qui traite de l’argent au sein du couple. Je vous recommande également l’épisode Patrimoine, enjeu capital de Victoire Tuaillon. Ces deux podcasts sont extrêmement bien faits, accessibles, intéressants et vous donneront plein de conseils pratiques facilement applicables. L’argent au sein du couple est un sujet important sur lequel il convient de réfléchir, malgré cet espèce de tabou qui nous fait croire que quand il y a de l’amour, il n’y a pas besoin de parler de sous. Je crois que c’est plus complexe que cela et j’espère que cet article et ces podcasts pourront vous aider à amorcer une réflexion à ce sujet. Bonne lecture !
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Le système fiscal suisse est entaché de règles sexistes. Les impôts les plus importants sur le plan fédéral, l’impôt fédéral direct et la TVA présentent des caractéristiques qui pénalisent les femmes. Même les droits de douanes les désavantagent. Les cantons ne sont pas en reste puisqu’ils définissent encore aujourd’hui le mari en tant que chef de famille dans la déclaration fiscale.
♦ Impôt fédéral direct (IFD)
Commençons par parler de l’impôt fédéral direct (IFD) qui a rapporté à la Confédération plus de 23 milliards de francs en 2019 et qui représente environ 30% des recettes fédérales ordinaires. Il se distingue par une importante progression qui implique que plus le revenu est élevé, plus le taux d’imposition l’est aussi. Par conséquent, de nombreux couples mariés à deux revenus paient plus d’impôts que des couples non-mariés dans la même situation économique qui ne sont pas imposés en commun. Ce système fiscal d’imposition du couple a été qualifié de misogyne. Pourquoi ? Le revenu total du couple marié détermine le montant de l’impôt. Ainsi la charge fiscale marginale (les impôts supplémentaires à payer lorsque l’on gagne plus) est la même pour les deux personnes mariées. Elle pénalise donc la personne qui a le salaire le plus bas dans le couple. Et cette personne, celle qui reçoit ce que l’on appelle communément le « deuxième salaire », est dans 90% des cas une femme. Ce sont les femmes qui travaillent le plus souvent à temps partiel pour s’occuper des enfants, ce sont elles qui subissent les inégalités salariales et ce sont aussi elles qui exercent des professions typiquement féminines à bas salaire.
Dès lors qu’un couple marié doit payer au moins 10% de plus que s’il n’était pas marié, la situation est contraire à la Constitution, comme l’a jugé le Tribunal fédéral en 1984. C’est ce que l’on appelle la pénalisation fiscale du mariage. Le nombre de couples mariés concernés est estimé à environ 450’000. Le calcul de l’IFD est cependant favorable aux couples mariés à un seul revenu. Il avantage donc le modèle familial dit « traditionnel » où la femme renonce à travailler après le mariage. Il encourage dans ce sens, en incitant la personne ayant le revenu le plus bas du couple à réduire le temps de travail voire même à arrêter toute activité. Aujourd’hui, de nombreuses femmes souhaitent continuer à travailler après être devenues mères. Les modèles familiaux ont évolué et se sont multipliés. Aussi bien des hommes que des femmes souhaitent diminuer leur temps de travail pour se consacrer davantage aux enfants et au foyer. Les incitations du système fiscal à diminuer le temps de travail voire même à cesser l’activité professionnelle devraient donc changer et s’adapter.
Le dossier est ouvert depuis 37 ans, mais il bute sur plusieurs points. Plusieurs modèles ont été présentés et débattus au Parlement. Les partis ne s’entendent pas sur le modèle à mettre en place. L’UDC et la majeure partie du Centre sont favorables à une imposition commune, alors que le PS, le PLR, les verts, les vert’libéraux et une autre partie du Centre (notamment des femmes) défendent une imposition individuelle. En 2016, le peuple avait refusé de peu l’initiative du PDC sur la dépénalisation fiscale du mariage. Ce qui l’avait fait échouer à l’époque, c’était d’une part la définition très rétrograde du mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme, excluant ainsi les couples homosexuels et d’autre part l’importante sous-estimation par la Confédération du nombre de couples mariés concernés. En raison de ce dernier point, le Tribunal fédéral a invalidé le résultat de la votation en 2019. Le dossier pour la dépénalisation fiscale du mariage est aujourd’hui toujours en discussion.
Durant les débats du le plan de législature de la session d’hiver 2019, le groupe Alliance F, qui représente plus de 100 associations de femmes de tous les partis politiques et qui s’engage en faveur de l’égalité des sexes, a notamment fait une proposition pour une imposition individuelle modifiée avec une alternative pour les couples avec enfant(s). En supprimant les incitations à diminuer le temps de travail ou à ne plus travailler du tout, une réforme pourrait certainement amener de nombreuses femmes sur le marché du travail. Le nouveau modèle de taxation reste à définir et la Confédération travaille sur le projet. Celui-ci devrait donner les bonnes incitations et rendre les individus plus égaux face à l’impôt. Il devrait également veiller à ne pas créer une situation défavorable pour couples mariés à un seul revenu. Et heureusement, le projet ne devrait pas exclure les couples homosexuels. En effet, le mariage pour tous a été finalement approuvé par le Parlement l’année passée.
En attendant les changements, qui pourraient tarder à venir, voici la solution que nous avons choisie pour la répartition du paiement de l’IDF dans notre couple. Cette solution s’applique à un couple marié sans enfants avec deux revenus relativement similaires et des déductions fiscales comparables. Il faut également mentionner au préalable que nous avons un compte commun dans lequel nous contribuons le même montant pour les dépenses du ménage, puis chacun.e maîtrise le reste de ses finances. Pour le paiement de l’IFD, calculé ensemble depuis que nous sommes marié.e.s, nous procédons ainsi : nous calculons le montant que nous paierions si nous avions tous les deux le salaire le plus bas, en l’occurrence le mien car j’ai choisi de travailler à 80%. Chacun en paie la moitié. La différence entre ce montant et l’impôt que nous devons effectivement payer, soit la différence due au salaire le plus élevé, est acquittée par la personne qui gagne le salaire le plus élevé. C’est une solution basique qui nécessite d’être adaptée en fonction des réalités du couple telles que la répartition et le niveau des salaires, le taux d’occupation, le travail dans le foyer ou encore le nombre d’enfants.
♦ Impôts cantonaux et communaux sur le revenu
Au niveau cantonal et communal, la facture fiscale dépend du lieu de domicile ainsi que du niveau et de la répartition des revenus au sein du couple. La progression de l’impôt sur le revenu est moins forte au niveau cantonal et communal qu’au niveau fédéral. Les différences entre les couples mariés et non mariés sont donc en général plus faibles. Si certain.e.s cantons et communes ont tendance à favoriser les couples mariés à deux revenus, d’autres les pénalisent. Il n’y a pas de tendance générale claire concernant les incitations qu’y en découlent.
Outre ces différences d’ordre fiscal, il existe sur le plan administratif des procédés clairement sexistes. En effet, dans plusieurs cantons, le dossier fiscal nomme une personne de référence pour le couple marié et une personne subordonnée, la personne de référence étant évidemment systématiquement le mari, sans possibilité de changement, même après en avoir fait la demande. Dans certains cantons, les remboursements d’impôts sont uniquement possibles sur le compte bancaire au nom du mari. Sous la pression politique, de nombreux cantons révisent enfin leurs systèmes. D’autres attendront d’y être peut-être contraints.
♦ Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)
La TVA est un impôt sur la consommation. Avec un montant de plus de 22 milliards en 2019, elle représente environ 30% des recettes fédérales ordinaires et constitue, avec l’IFD, la principale source de revenu de la Confédération. Elle se décline en trois taux principaux: le taux réduit (2,5%) pour les produits dits de première nécessité. C’est là que l’on trouve les denrées alimentaires, les livres, les journaux, les biens d’usages quotidiens, les médicaments, le viagra ou encore les litières pour animaux. Le taux spécial (3,7%) pour l’hôtellerie et finalement le taux normal (7,7%) pour tous les autres produits, tels que les voitures, les montres, les bijoux, les vêtements, l’alcool et les services. C’est dans cette dernière catégorie que tombent les produits d’hygiène féminine (tampons et serviettes périodiques). Ainsi, contrairement à la litière pour chat et au viagra, les produits d’hygiène féminine ne sont actuellement pas considérés comme produits de première nécessité. Mais, les choses devraient bientôt changer : le Conseil fédéral a proposé d’accepter une motion parlementaire qui vise à corriger cette incohérence. L’adaptation devrait avoir lieu avec la prochaine révision de la TVA actuellement en cours.
♦ Droits de douane
Vous avez quelque chose à déclarer ? Un vêtement ? Pour homme ou pour femme ? Lors d’un achat à l’étranger (acheté personnellement ou commandé sur internet) vous avez sûrement dû un jour ou l’autre payer des droits de douanes (à ne pas confondre avec les autres impôts ou frais également dus à l’importation, tels que la TVA ou les frais de dédouanement). Les droits de douane sont perçus sur les marchandises qui sont acheminées en Suisse. Ils ont rapporté un peu plus d’un milliard de francs à la Confédération en 2019. Leur calcul se base sur le poids brut de la marchandise (emballage compris). Pour la plupart des autres pays, les droits de douane se fondent sur la valeur de la marchandise. Il existe en Suisse une règle qui peut être qualifiée de sexiste pour cet impôt. En effet, que l’on achète un kilo de vêtement pour femme ou un kilo de vêtement pour homme, le tarif appliqué est généralement différent. Par exemple, un manteau en laine de 5 kg (avec son emballage) commandé aux Etats-Unis pour un homme coûtera 18 francs en droits de douane. S’il est pour femme, le manteau de 5kg également, des États-Unis également, coûtera alors 23.30 francs. La différence peut sembler minime à première vue. Il s’agit dans cet exemple d’une seule pièce. Les proportions sont bien différentes lorsque les vêtements sont commandés par les détaillants et lorsque ce tarif se répercute sur le prix de la marchandise vendue en magasin. Et que penser du fait que les mêmes différences s’appliquent pour les enfants ? Un vêtement pour une fille de 6 ans est grevé d’un tarif douanier plus élevé que la même pièce de vêtement destiné à un garçon du même âge.
Comme souvent, la justification est historique. En 1959, lorsque le tarif au poids a été établi, les vêtements pour hommes étaient nettement plus lourds que ceux pour femmes. Afin d’obtenir un impôt final équivalent pour les hommes et les femmes par rapport à la valeur du vêtement, différents tarifs douaniers ont été fixés. La différence de poids entre les vêtements féminins et masculins est aujourd’hui moindre, car les producteurs utilisent désormais les mêmes tissus. Mais c’est encore la règle de 1959 qui prévaut. Il en résulte que les femmes payent des droits de douane sensiblement plus élevés sur leurs vêtements que les hommes.
Il faut toutefois nuancer ces propos puisque de nombreux accords de libre-échange conclus par la Suisse avec divers États exonèrent aujourd’hui les vêtements importés des droits de douane. De plus, le Conseil fédéral propose de supprimer unilatéralement les droits de douane sur les produits industriels qui comprennent également les vêtements. Ceci mettrait fin par la même occasion à cette inégalité de traitement. Le projet est actuellement en délibération au Parlement où il a déjà obtenu le soutien du Conseil des États alors que le Conseil national s’y oppose. Si le projet est refusé et sans autre mesure, l’inégalité de traitement perdurera.
♦ Taxe rose
N’en étant pas réellement une, ce qu’on appelle la taxe rose, consiste à faire payer plus cher aux femmes pour les mêmes produits. Elle est rose, comme la couleur du packaging des produits destinés aux femmes. Elle concerne particulièrement les produits d’hygiène, de beauté, de papeterie mais également les services comme les salons de coiffure, les pressings et les toilettes publiques payants. Cette différence est d’autant plus irritante quand on sait que les femmes ont un salaire généralement plus bas que les hommes.
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Un grand merci à Svetlana pour cet article super intéressant !
Si vous avez des questions, n’hésitez pas à les poser en commentaire, elle se fera un plaisir d’y répondre.