Il y a quelques semaines est sorti un titre de Grand Corps Malade intitulé Mesdames. L’objectif était apparemment de « rendre hommage » à toutes les femmes au travers d’un beau texte. Malheureusement, cet hommage rate complètement sa cible et on tombe dans un enchaînement de clichés emprunts de sexisme bienveillant. Je crois qu’il n’y a pas une seule ligne qui ne m’ait pas hérissé les poils (dans le mauvais sens du terme). Mon amie Sophie a eu envie d’écrire un texte en guise de réponse ouverte à Grand Corps Malade et je lui ai proposé de le publier sur mon blog. C’est brillant et je remercie Sophie d’avoir mis si parfaitement en mots ce qu’on peut ressentir en écoutant ce morceau.
♥
Monsieur,
Veuillez accepter cette objection comme de l’éducation
A propos d’un sujet dont vous ne maîtrisez pas les faits.
Le slam étant davantage votre domaine que le mien, je vais m’arrêter là. Mais je vais vous expliquer par A+B pourquoi, de votre côté, vous auriez peut-être dû en faire de même lors de l’écriture de votre morceau « Mesdames ».
J’apprécie l’intention, que nous espérons toutes honnête. Cependant, cet « hommage » aux femmes que vous entendez rendre ne fait que nous placer dans une catégorie étroite, trop petite pour tout un genre, et vu uniquement au travers des lunettes du patriarcat. Par maintes fois dans ce texte, les femmes sont réduites à tous les rôles auxquels les hommes nous cantonnent depuis la nuit des temps. « Les plus beaux personnages » au cinéma, dotés de classe et d’élégance. Car évidemment, dans l’imaginaire collectif de notre société, beauté et élégance sont d’inhérentes qualités au statut même de femme (car oui, l’ensemble de ce morceau parle bel et bien du statut de la femme comme catégorie définie par les têtes pensantes de la société dans laquelle nous vivons, autrement dit vous Messieurs, et en aucun cas comme un genre à part entière). En tant que femmes, je n’ai pas besoin de votre regard sur moi quand je « balance mon corps » (champ lexical utilisé pour correspondre à balance ton porc, mais si inapproprié dans le contexte – et une autre explication de pourquoi les mots ont toute leur importance, non ?). Vous le dites ensuite comme un compliment, mais aucune femme n’aspire à inspirer les hommes puissants ; c’est à vous, hommes puissants, de nous aider à ne plus rester dans l’ombre au lieu de vampiriser nos talents et de vous en attribuer les lauriers. Nous ne voulons pas être vos muses, vos mères, vos sœurs, autant de qualificatifs nous rapportant toujours comme appartenant à un homme ou du moins vues uniquement au travers du regard masculin, mais souhaitons simplement être considérées comme des êtres humains dans toute leur complexité, est-ce vraiment trop demander ? Pourquoi les hommes ne sont-ils jamais définis en tant que fils de, père de, mari de ?
Votre fresque de la société moderne, en voulant jouer la diversité et l’admiration de la gent féminine, ne fait que renforcer un cliché qui impose aux femmes d’être avant tout des mères. Bien sûr qu’être femme au foyer est honorable et difficile, mais est-ce vraiment, comme votre morceau le stipule « le plus grand emploi » qu’une femme peut espérer ? Est-il si impensable qu’un homme puisse également s’occuper de ses enfants ? Ne trouvez-vous pas que ce propos enlève aux femmes la liberté de faire ce dont elles – et elles seules – jugent approprié de faire de leur corps ?
En tant que femme, je me considère comme une féministe sans être extrémiste, qui espère que les hommes puissent être nos alliés dans notre lutte pour l’égalité et je comprends à quel point les clichés virils et machistes ne vous aident, messieurs, pas non plus. C’est pourquoi quand j’ai débuté la lecture de ce morceau « Mesdames », j’étais pleine d’espoir et réjouie à l’idée qu’un artiste aussi populaire que vous affiche publiquement ses convictions féministes. Mon enthousiasme s’est vite envolé en entendant les éléments exposés ci-dessus, mais c’est à l’écoute d’une toute petite phrase à la fin de cette chanson que mon cœur s’est arrêté une seconde – mais heureusement pour moi seulement une seconde et non pour toujours, contrairement à toutes celles qui subissent et meurent sous les coups de leur partenaire. Cette petite phrase, « celles qu’on aime trop » sonne comme une justification des violences conjugales. Certains jugeront cette analogie tirée par les cheveux (excusez le jeu de mots), mais quand on s’intéresse au sujet de plus près, ce pseudo excès d’amour arrive malheureusement en tête des excuses proférées par les hommes accusés de violences conjugales, et c’est la première chose à laquelle j’ai pensé en entendant cette phrase. J’espère bien évidemment que votre intention n’était pas de justifier les coups portés aux femmes simplement parce qu’elles sont femmes, mais j’attendais mieux de vous. Une réflexion, un second avis d’expert, car il est pour moi impensable de ne pas comprendre qu’un tel double sens puisse exister derrière cette phrase. La liberté artistique ne vous dénue pas de responsabilité, en particulier dans un pays comme la France qui, avec un féminicide en moyenne tous les deux jours, se trouve tout en haut d’un bien triste classement européen.
Je vous rejoins toutefois sur un point : la qualification de votre chanson comme un exemple de démagogie. Pour rappel, la définition même de la démagogie est de s’adresser aux frustrations et craintes d’un peuple dans un but de satisfaire des attentes sans recherche de l’intérêt général mais dans le but de s’attirer personnellement la sympathie et accroître sa popularité. Je vous félicite donc pour cet exercice de style si bien réalisé. Si extrêmement bien réalisé d’ailleurs, qu’il a floué bien du monde, si j’en crois le nombre de retours positifs, encenseurs même, que l’on peut lire partout sur les réseaux sociaux, ce qui constitue bien la preuve que vous avez pris le parti de la facilité. Si vous vous considérez véritablement comme un allié tentant la réparation, alors sortez des clichés, allez sur le terrain, éduquez-vous sur la question en côtoyant des personnes que vous jugerez peut-être extrémistes mais qui vous offriront un point de vue différent du vôtre. Acceptez les vérités qui, en tant qu’homme, ne vous mettront pas toujours du bon côté de l’histoire. En résumé, faites mieux. Beaucoup mieux. On en a toutes et tous besoin.
Svetlana
Merci Sophie, Merci Melody 🙂
Merci pour ce texte.. A sa sortie, il y a quelques mois, j’ai entendu cette chanson et elle m’a tout de suite déplue, dérangée et fachée. Elle passe pour une chanson féministe et ça m’horripile… Et ce, pour toutes les raions qui sont évoquées ci-dessus.
A chaque instant, nous sommes, nous les femmes, uniquement des objets en relation avec un ou des homme(s).
Non, nous ne sommes pas plus classes, subtiles, élégantes, fragiles ou empathiques que les hommes.. car oui.. eux aussi ont le droit de faire des efforts pour être convenables ou, pour faire attention aux autres.
Et ce « vous êtes nos muses, nos influences, notre motivation et nos VICES?? » hum.. éduquez-vous un minimum messieurs!!! J’entends bien, Grand Corps Malade, que vous vous considérez comme vicieux.. mais moi je suis pas un vice!
Et merci pour ton avis, Sophie, sur le passage « celles qu’on aime trop », je n’avais pas tilté à l’écoute (mes oreilles saignaient) mais impossible de ne plus le voir comme cela mnt.
Je serais vraiment très heureuse d’avoir d’autres avis de féministes sur cette chanson..
Mais encore merci à vous deux!
Melody | Ally Bing
SvetlanaQueen Svet ♥♥♥♥♥
Tout ce que tu dis ✔️✔️✔️✔️ x 1000
Bea
Bravo, bien écrit, bien dit! C’est vrai que j’attendais beaucoup mieux de ce monsieur que j’appréciais naguère et je serais curieuse de savoir ce qu’en pense son épouse…
Melody | Ally Bing
BeaMerci pour elle 🙂
En effet..!
Morgane
Salut. Merci d’avoir publié le texte de ton amie. Ça m’a beaucoup plu de le lire, c’est très bien écrit. Je n’ai pas encore écouté ce slam de Grand Corps Malade, mais je le ferais dès que j’ai le temps afin d’avoir une meilleure compréhension des mots de ton amie.
Melody | Ally Bing
MorganeMerci pour elle 😉
Xavier Oudot
Que de poncifs sur les femmes dans le texte de Grand Corps Malade! Si on inverse les rôles, ça donne ceci, qui serait à juste titre dénoncé comme horriblement machiste:
Veuillez accepter Messsieurs ces quelques mots comme un hommage
A votre gent que j’admire qui crée en chaque femme un orage
Au cinéma ou dans la vie vous êtes les plus beaux personnages
Et sans le vouloir vous tenez nos cœurs et nos pensées en otage
Veuillez accepter Messieurs cette déclaration
Comme une tentative honnête de réparation
Face au profond féminisme de nos media de nos cultures
Dans le grand livre des humains place au chapitre de la rupture
Vous êtes infiniment plus forts, plus intelligents et plus importants
Que la gent féminine qui parle tant, qui est si futile
Et si j’apprécie des deux yeux quand tu montres tes pectoraux
J’applaudis aussi des deux mains tes discours électoraux
Derrière chaque femme importante se cache un homme qu’elle admire
Derrière chaque grand être humain précède un père qui respire
« L’homme est toute la vie de la femme » écrivait le poète
Et bien la vie s’est installée … et depuis belle lurette
Vous êtes nos maîtres, nos influences, notre motivation et nos vices
Vous êtes César, Victor Hugo, Sylvester Stallone
Vous êtes nos pères, vous êtes nos frères
Vous êtes caissiers, vous êtes docteurs
Vous êtes nos fils et nos maris
Nous, on est fières d’être vos femmes.
Comment ne pas être en admiration et sans commune mesure
Pour ceux qui nous permettent de porter neuf mois notre futur
Pour ceux qui cumulent plusieurs postes et ce sans sourciller
Celui qu’il joue dans la journée et le soir devant la télé.
Veuillez accepter Messieurs cette réelle admiration
De votre force, votre courage et votre détermination
Veuillez accepter Messieurs mon aimable faiblesse
Face à votre solidité, votre appétit et votre rudesse
Veuillez accepter Messsieurs cette petite intro
Car l’avenir appartient à ceux qu’on aime trop
Et pour ne pas être taxé de premier degré d’anthologie
Veuillez accepter Messieurs cette délicate démagogie
You are the only one, you are the only
You are the only one, the only
You are the only one, you are the only one
You are, yes you are
Vous êtes nos maîtres, nos influences, notre motivation et nos vices
Vous êtes César, Victor Hugo, Sylvester Stallone
Vous êtes nos pères, vous êtes nos frères
Vous êtes caissiers, vous êtes docteurs
Vous êtes nos fils et nos maris
Nous, on est fières d’être vos femmes.
Insupportable, non ?
L’homme est une femme comme les autres… et vice-versa.
Sylvaine
Je viens de lire le texte de Sophie presque un an après sa publication sur ce blog (merci!) et je suis arrivée sur le site car je recherchais spécifiquement une analyse tu texte « Mesdames » de Grand Corps malade en utilisant les mots-clés: « sexisme bienveillant » et « Grand Corps malade », et…. bingo!
Je venais de lire quelques articles sur les études du sexisme bienveillant et me suis rappelée à quel point la chanson « Mesdames » m’avait dérangée lors de sa sortie, bien que louée abondamment par ailleurs dans mon entourage et au delà.
Bref, encore merci à Sophie et à Melody pour son blog!