Vendredi dernier, j’ai commencé à écrire ce que l’on était en train de vivre. Depuis toujours, je note dans un petit cahier les évènements « extraordinaires » (ou disons plutôt catastrophiques) qu’il se produit. Dans une boîte où je conserve tous mes écrits depuis que je suis petite, on peut ainsi retrouver le déroulement des journées du 26 décembre 1999 pendant Lothar, du 11 septembre 2001 ou encore du 31 août 1997 lorsque Lady Di est décédée. (Ça va Anne Frank ?)
Cette fois-ci, je me suis dit que je pouvais mettre sur mon blog ce que je garde habituellement dans un carnet. Je publierai régulièrement quelques lignes dans cette rubrique qui s’intitule Les chroniques du confinement. On pourrait dire que c’est un confinement « volontaire », puisque le Conseil fédéral n’a malheureusement pas décidé d’une telle mesure obligatoire pour l’instant. Ça me désole un petit peu. Mais je vois que plein de gens autour de moi ont pris la même décision, et ça me remonte un peu le moral. Prenez bien soin de vous. ♥
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Vendredi 13 mars – Jour 1
Ce matin, je me suis réveillée avec une drôle de sensation. Hier soir, Macron a annoncé à la télévision française la fermeture de toutes les écoles. En Suisse, nous sommes désormais à plus de 800 cas testés positifs au Coronavirus, contre 200 quelques jours plus tôt. Moi qui prenais encore cette situation à la légère il y a une semaine, je réalise brusquement l’ampleur du truc qui est en train de nous arriver.
C’est un peu la débandade au niveau des mesures. Les cantons annoncent des décisions en attendant de voir si le Conseil fédéral se prononce. Cette situation permet de montrer assez clairement comment fonctionne le fédéralisme : chaque canton est souverain et décide de ses propres actions. Cela signifie que des choses permises à Neuchâtel ne le seront peut-être pas à Lausanne.
A 14h, le canton de Vaud nous informe que dès lundi, toutes les écoles seront fermées jusqu’au 30 avril. Il est demandé aux entreprises d’instaurer le télétravail pour leurs salarié.e.s. A 17h, je reçois un e-mail des RH. Je ne dois plus retourner au bureau jusqu’au 31 mars et travailler depuis la maison. Les rassemblements de plus de 50 personnes sont interdits. Les musées, bibliothèques, cinémas et fitness sont fermés.
A 15h, c’est au tour du Conseil fédéral de faire une conférence de presse. Ils annoncent un maximum de 50 personnes simultanées dans les bars, restaurants et discothèques. Ils demandent également la fermeture de toutes les écoles sur l’ensemble du territoire ainsi que des stations de ski, des piscines et des centres de loisirs. Ils recommandent également à la population de garder ses distances.
Lorsque les annonces sont terminées, on s’appelle avec ma meilleure amie. On va chacune sur notre balcon et on fume une petite clope ensemble, à distance, pour débriefer, parler, décompresser, rigoler. On commence à réaliser et à intégrer qu’on ne pourra pas partir à Paris jeudi prochain. Dans cette période si étrange, nous ne pouvons plus voir nos ami.e.s et pourtant, je crois qu’on a rarement été autant en lien les un.e.s avec les autres.
Samedi 14 mars – Jour 2
Je vais en ville. J’ai oublié d’acheter du dentifrice jeudi lors de mes courses. Lorsque j’arrive au centre, je suis choquée par le nombre de personnes présentes. Les rues sont pleines. Les magasins sont bondés. Les terrasses sont remplies. Les gens ne respectent absolument aucune distance de sécurité. Je vois des sacs de la Fnac, de H&M, des achats dont on pourrait vraiment se passer en cette période de crise. Je ne comprends pas. Je rentre chez moi rapidement. Je découvre que nous avons désormais 1360 cas recensés en Suisse, et je me dis que ce chiffre va exploser dans les prochains jours au vu de ce que j’ai vu en ville quelques heures plus tôt.
Le Tessin annonce la fermeture de tous ses bars, restaurants, salons de coiffure et magasins non alimentaires. Dans le canton de Vaud, les restos et bars devront baisser le rideau à 22h.
J’instaure une petite session de danse et chant quotidienne qui fait beaucoup de bien. Ce sont les chansons de Lady Gaga qui marchent le mieux pour moi, elles claquent bien et on peut danser et chanter dessus comme des foufous dans le salon. Mes préférées : Just Dance, Telephone, Born This Way, Judas et Bad Romance.
Dimanche 15 mars – Jour 3
Je me réveille avec ces chiffres : 2200 personnes testées positives et 14 morts. L’Allemagne ferme ses frontières avec la Suisse, l’Autriche fera pareil dès demain. Les cantons de Jura, Bâle-campagne, Neuchâtel et des Grisons déclarent l’état d’urgence et rejoignent ainsi le Tessin.
De mon côté, j’ai beaucoup de mal à penser à autre chose. Je fais défiler Twitter, Instagram et Facebook toute la journée. Je parle avec mes copines sur Whatsapp. Je n’arrive pas à fixer mon attention ailleurs. Je mange dehors, je fais un peu de yoga, je lis quelques lignes d’un roman. Je parviens à rédiger un article pour le blog et prendre quelques photos. A 21h, je vais sur mon balcon pour applaudir tout le personnel des hôpitaux et je suis émue d’entendre les gens de mon quartier faire de même. C’est beau et très touchant.
Il y a quelque chose d’étrange dans cette situation. Je ressens comme une espèce de fascination pour ce qui est en train de se produire. Comme si on était dans le film « Le jour d’après » pour de vrai (les catastrophes naturelles en moins, le virus en plus). Nous nous rappellerons tous et toutes de cette période si folle à tout point de vue. On se souviendra de ce que l’on faisait, les vendredi et lundi, lorsque le Conseil fédéral a annoncé les mesures, on se souviendra comment nous avons vécu ces quelques mois où la vie s’est presque arrêtée sur la planète. Lorsqu’on en reparlera dans le futur, les plus jeunes d’entre nous diront qu’ils étaient trop petits pour s’en souvenir.
Lundi 16 mars – Jour 4
Premier jour où l’on est censé voir les effets de la diminution du rythme de la vie sociale. Je regarde par ma fenêtre. Je vois ce couple de l’immeuble d’en face. Ils sont tous les deux assis sur les marches qui descendent à leur jardin, en train de fumer une cigarette l’un à côté de l’autre. Cette image me réchauffe le cœur. A 11h30, la sonnerie de l’école retentit au loin. Dans la cour, seuls trois parents sont là pour récupérer les enfants.
Le canton de Vaud annonce de nouvelles mesures, mais en fin de journée, le Conseil fédéral décrète l’état de situation extraordinaire, l’état d’urgence. Cela signifie qu’il prend le contrôle de la situation pour l’ensemble du territoire suisse et que lui seul décide dorénavant de la marche à suivre. Tous les magasins non essentiels sont fermés jusqu’au 19 avril, de même que les restaurants, bars, cinémas, musées, centres de loisirs, salon d’esthétique et de coiffure. L’entrée en Suisse ne sera autorisée qu’aux Suisses et aux personnes qui viennent y travailler. L’armée est mobilisée, pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale. Plus tard, j’apprends que je ne retournerai pas au bureau jusqu’au 30 avril.
Je passe une nouvelle fois la journée les yeux rivés sur mon téléphone. Je me dis qu’il faut vraiment que je me ressaisisse. J’imprime le calendrier d’Adrienne pour faire du yoga tous les jours selon son planning du mois de mars, je note sur une feuille l’organisation de mes journées à partir de demain afin d’être plus structurée et productive. Il est vraiment nécessaire que j’arrête d’être sur mon natel en permanence car cela influe sur ma capacité à fixer mon attention de manière prolongée sur autre chose.
Mardi 17 mars – Jour 5
Ce matin à 8h30, l’armée fait son appel à la radio, les concernés recevront leur convocation par e-mail. On s’écrit avec ma meilleure amie. Elle me dit nos hommes sont appelés au front et moi je mange des smacks devant mon ordi. Il y a 2700 cas recensés dans notre pays, mais probablement beaucoup plus puisque les gens ne sont plus testés. On apprend que l’Euro 2020 est reporté à l’année prochaine et Roland Garros au mois de septembre. La France est en confinement obligatoire pour quinze jours à partir de midi.
J’appelle mon grand-père, ma belle-mère, les personnes vulnérables autour de moi. Pour les sensibiliser, pour leur demander de ne plus sortir, pour organiser une livraison des courses à leur domicile. Je demande à mon grand-papa de ne même pas aller à la boulangerie pour acheter du pain. Cette phrase que je prononce comme si c’était normal alors qu’une semaine auparavant, nous étions encore tous et toutes à vivre notre meilleure vie sous le soleil.
C’est fou comme le cerveau s’habitue vite. Quand je vois des scènes dans des séries où les gens sont en groupe en train de boire un verre, ça me fait tout bizarre à chaque fois. Comme si c’était quelque chose que nous faisions dans un autre temps mais qui est révolu depuis belle lurette.
Le soir, je décide de commander une pizza au restaurant qui n’est pas loin de chez moi. J’ai assez à manger dans mon frigo mais je me suis dit que c’est une manière de soutenir les petits commerces de mon quartier. La livraison de la pizza fut un moment surréaliste auquel je repense le sourire jusqu’aux oreilles. Lorsque j’ouvre la porte, le livreur se trouve au milieu du couloir, à plusieurs mètres de moi. Il me dit « nous devons garder une distance », je lui réponds « c’est super j’aurais fait pareil ». On rigole tous les deux. Il dépose la pizza sur sa box de livraison et la machine pour payer à côté. Il recule jusqu’à la porte du fond et me dit « c’est bon vous pouvez avancer ». Je vais au milieu du couloir, je paie avec ma carte sur la machine, je dépose le pourboire et je prends ma pizza. Quand j’atteins le seuil de ma porte, le livreur retourne à sa box. On se salue et je lui souhaite bon courage. Si on m’avait dit il y a une semaine que je vivrais un truc pareil.
A 21h, rendez-vous sur le balcon pour les applaudissements. A la fin, quelqu’un crie « A demain ! » Je suis tellement dans l’ambiance que je réponds « A demain !!! » pleine d’enthousiasme. Mais la honte s’empare ensuite de moi en pensant à mes voisins qui m’ont probablement entendue hahaha.
Mercredi 18 mars – Jour 6
Je suis sur ma terrasse, il fait si beau. 11h30, la sonnerie de l’école retentit comme chaque jour. Cette fois, il n’y a plus aucun parent à l’extérieur, et aucun enfant n’en sort. C’est fou, cette cour vide, un mercredi matin du mois de mars, hors vacances scolaires. Plus tard, je vois ce même couple de voisins de l’immeuble d’en face. Il travaille depuis son jardin avec son ordinateur posé sur la petite table en bois. Elle est assise sur le rebord de la fenêtre, au soleil, et travaille aussi avec son ordi sur les genoux. Ils sont vraiment trop chou.
Pendant ce temps, un autre de mes voisins a cru qu’il était en vacances. Il s’est dit qu’avec ce beau temps, ce serait quand même con de pas inviter ses potes. Les voilà donc à quatre autour de la table du jardin, à faire des grillades et boire du vin, les distances de sécurité absolument pas respectées. Trois heures plus tard, deux nouveaux convives les ont rejoint. Ils en sont à leur xème bouteille de rouge, ils commencent à être ivres vu le niveau sonore de leurs discussions et de leurs rigolades. Pendant que des PME et des petits commerces ont arrêté toutes leurs activités et risquent la faillite, pendant que les transplantations et autres opérations ont été reportées, pendant que les personnels des hôpitaux et des centres commerciaux travaillent comme des fous, eux ont décidé d’organiser une petite sauterie à six personnes dans un jardin. Quel égoïsme. Franchement, devant tant de bêtise, je n’ai même plus les mots.
Ce soir c’est Top Chef et ça va nous permettre de faire redescendre un peu la pression. Mais avant le début de l’émission, à 21h, n’oubliez pas d’aller à vos fenêtres et balcons pour notre rendez-vous quotidien d’applaudissements. ♥
Pam
Je pense à toi ma chérie!
Ici, c’est télétravail pour Mickael et moi et confinement à 4. On profite du jardin grâce à ce beau temps et on découvre une vie plus simple et loin de la perpétuelle course quotidienne. Mes parents pleurent de ne pouvoir voir leurs petits-enfants et nous avons dû annuler un week-end en famille… Bref, comme pour tout, il y a du bon et du moins bon mais étant donné qu’on ne sait pas combien de temps cela va durer, autant faire en sorte de tirer cette situation à notre avantage.
Des becs de loin ;-))
Melody | Ally Bing
PamMerci Pam 🙂
Chouette pour vous et tu as bien raison 🙂 Je trouve aussi que ce ralentissement a du bon, il nous permet à tous et toutes de vivre plus calmement et ça c’est super top 🙂
Gros bisous à vous 4 !
Elise
J’aime tellement te lire, tu m’apaises. Dans des instants aussi particuliers, ton blog fait encore plus de bien que d’habitude. Une belle douceur malgré cette période si triste. Continue !
Melody | Ally Bing
EliseOhh merci Elise ça me touche beaucoup beaucoup ♥
Prenez bien soin de vous ♥
chicasderevista
J’ai beaucoup aimé te lire. Cet article m’a fait du bien au moral, surtout qu’avec les réseaux sociaux ça commencent vraiment à être pesant…
Moi aussi je me suis fait la même remarque concernant les séries. Quand j’en regarde une, je me dis « oh ils sont dehors, au soleil, ils profitent. C’était comment nous déjà? … » Bizarre comme sensation..
Courage à toi en tout cas 🙂
Melody | Ally Bing
chicasderevistaMerci beaucoup, ça me touche bcp 🙂
Haha oui, c’est fou comme notre perception a réussi à changer si rapidement !
Merci et bon courage à toi aussi 😉 Bisous <3
Cath
Merci pour ce récit , c’est vrai qu’on a de la peine à réaliser que tout cela est réel ! En si peu de temps , notre vie a changé , et j’ai bon espoir que nous ralentissions par la suite ce rythme effréné dans lequel nous vivions et consommions . L’après sera forcément différent .
Gros bisous et bravo pour cet article !
Melody | Ally Bing
CathMerci Cath, t’es chou ça me fait plaisir 😉
J’espère la même chose que toi !
Gros bisous <3
Heloise
Je ne prends jamais la peine de commenter tes posts intagram ou tes articles de blog, pourtant à tort car j’aime beaucoup ce que tu produits. Tu es très inspirante au quotidien. Merci pour tout ce travail réalisé.
Melody | Ally Bing
HeloiseHeloise, je te dis un grand merci pour avoir pris le temps d’écrire ces quelques mots. Ils me touchent énormément ♥♥♥